A l'occasion de l'ouverture du nouvel espace mathématique de la Cité
des sciences il s'interrogeait sur le problème de la popularisation
des mathématiques et de la reconnaissance d'une citoyenneté mathématique.
Nous citons ci-dessous des extraits du texte publié dans "Visa pour
la cité" de septembre 1995.
"Par nature les mathématiques entretiennent une relation particulière
avec la notion de vérité. Leur exigence de rigueur tend à rendre leur
présentation ésotérique. Pourtant c'est bien à cause de cette ascèse qu'un
énoncé mathématique prend une dimension d'éternité, et confie à celui
qui en a maîtrisé les détours une assurance qui peut être le fondement
d'une liberté gagnée contre l'affirmation arbitraire. Si cet aspect peut
faire percevoir les mathématiques comme une activité subversive, celle-ci
peut aussi induire l'image d'une science immuable où il ne resterait rien
à découvrir ou à inventer. cette vision répandue est fausse pour au moins
trois raisons. (...)
De nouveaux objets mathématiques ont constamment été créés au cours de
ce siècle, qui a connu une accélération vertigineuse avec l'explosion
du nombre des mathématiciens dans le monde.
De nouveaux champs mathématiques continuent d'apparaître.
Des problèmes mathématiques que nous ont légués nos ancêtres trouvent
enfin leur solution (ex: théorème de Fermat). (...)
Mais cette fausse pertinence est encore aggravée par le sentiment erroné
que les mathématiques n'auraient pas d'impact dans notre vie quotidienne
alors qu'un des principaux changements survenus au cours de ce siècle
est justement leur pénétration dans des domaines extrêmement divers de
l'activité humaine. Notre société moderne se caractérise par l'omniprésence
de produits très finalisés, dans lesquels un grand nombre de paramètres
doivent être maîtrisés et optimisés. Le traitement de l'information et
des images mobilise lui aussi des mathématiques récentes. La liste des
situations de la vie courante où se cachent des mathématiques est bien
longue. (...) A cause de leur présence multiforme dans les sociétés modernes,
les mécanismes fondamentaux des mathématiques doivent être intelligibles
au plus grand nombre possible de citoyens. Il s'agit de leur permettre
d'exercer leur jugement de façon responsable, sans se laisser abuser par
un usage éventuellement tendancieux d'informations à caractère mathématique.
Pour ne pas réduire ces "mathématiques pour tous" à un dressage et pour
les faire percevoir comme une science en action, elles doivent prendre
du sens, et c'est là que se situe le véritable écueil. Il nous revient
donc d'inventer et de rendre attractifs des lieux ou des situations où
cette simulation de la curiosité est sollicitée." Jean-Pierre Bourguignon
- "visa pour la cité" de septembre 1995 |